Ordonnance d’injonction de payer : le règlement spontané intervenant entre les mains de l’Huissier de Justice n’empêche pas la remise en cause du titre qui n’aurait pas été signifié dans les délais.
Les dispositions de l’article 1411 du Code de procédure civile obligent à signifier l’ordonnance d’injonction de payer dans les 6 mois de sa date :
« Une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs.
L’ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les six mois de sa date. »
A défaut, l’ordonnance est considérée comme « non avenue », et aucune mesure d’exécution ne peut être ordonnée sur son fondement.
Qu’advient-il cependant si, malgré ce caractère non avenu, le débiteur paye spontanément une partie de la dette ?
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de le préciser, dans un arrêt du 17 octobre 2019 (pourvoi n°18-18.759).
En substance, une ordonnance d’injonction de payer avait été rendu contre un couple de particuliers.
Ces derniers avaient, sans attendre que l’ordonnance ne leur soit signifiée, par voie d’Huissier de Justice, commencé à régler spontanément une partie de la dette.
Cependant, et près de 14 ans plus tard, le créancier – sans doute las de devoir attendre des paiements volontaires de ses débiteurs – a entendu faire pratiquer à une saisie sur les comptes bancaires du couple, pour en obtenir le solde.
Les débiteurs ont contesté cette mesure devant le Juge de l’exécution, indiquant notamment que l’ordonnance ne leur avait jamais été signifiée dans les 6 mois, en violation de l’article 1411 du Code de procédure civile.
La Cour d’appel saisie du litige avait refusé de faire droit aux demandes du couple, en invoquant les paiements volontaires et partiels auxquels ils avaient préalablement consentis.
La Cour d’appel semblait ainsi vouloir « couvrir » l’erreur procédurale commise par le créancier, en considérant que le paiement volontaire d’une décision pourtant de nul effet, emportait renonciation à se prévaloir de son caractère non avenu.
La Cour de cassation censure la Cour au visa de l’article 1411 du Code de procédure civile:
« Attendu que, selon ce texte, une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs ; que l’ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les six mois de sa date »
Aussi, et même 14 ans après les faits, les erreurs procédurales peuvent servir les intérêts des justiciables…
La notification d’un projet de plan incomplet ne fait pas courir le délai de 30 jours imparti au créancier pour opter
« La notification au créancier d’une lettre de consultation à laquelle n’est pas joint l’un des documents exigés par l’article R. 626-7, II du code de commerce, ne fait pas courir le délai de réponse prévu par l’article L. 626-5, alinéa 2, du même code »
Une société GDKS a été placée sous sauvegarde, et a proposé un plan d’apurement de son passif comprenant deux options :
- une option A prévoyant le paiement de 35% de la créance lors de la première annuité (et comportant donc un abandon pour le surplus) ;
- une option B prévoyant un paiement de 100% de la créance sur 10 ans.
Comme il est d’usage, il était convenu que l’une des options s’appliquerait par défaut, en l’absence de réponse.
En l’occurrence, il s’agissait de l’option A (paiement de 35% seulement de la créance).
Le plan a été circularisé au moyen d’une lettre de consultation adressée à l’ensemble des créanciers. Cet envoi ne contenait cependant pas d’état de la situation active et passive de la société GDKS, ainsi que l’impose l’article R.627-6 du Code de commerce.
Ce dernier précise en effet que doivent être joints :
« 1° Un état de la situation active et passive avec ventilation du passif privilégié et du passif chirographaire ;
2° L’ensemble des propositions relatives au règlement des dettes et l’indication des garanties offertes ;
3° L’avis du mandataire judiciaire ainsi que des contrôleurs s’il en a été nommé. »
L’un des créanciers (Le Crédit Lyonnais) a répondu tardivement, en indiquant choisir l’option B.
Pour le Mandataire Judiciaire, la réponse étant tardive (dépassement du délai de 30 jours imparti), c’est l’option A qui trouvait à s’appliquer.
Saisissant le Tribunal (puis la Cour d’appel) par la voie d’une tierce-opposition contre le Jugement arrêtant le plan de sauvegarde, le créancier a finalement obtenu gain de cause devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Cette dernière a en effet indiqué :
« Attendu que pour rejeter cette tierce-opposition, l’arrêt retient que si une notification irrégulière ou incomplète peut avoir pour effet de ne pas faire courir le délai de 30 jours, c’est à la condition que l’irrégularité ou l’incomplétude portent sur des éléments déterminants qui auraient empêché le créancier de pouvoir valablement opter dans le délai requis, et que tel n’est pas le cas en l’espèce ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la notification au créancier d’une lettre de consultation à laquelle n’est pas joint l’un des documents exigés par l’article R. 626-7, II du code de commerce, ne fait pas courir le délai de réponse prévu par l’article L. 626-5, alinéa 2, du même code, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
Il en résulte que, puisque le délai imparti n’avait pas encore commencé à courir, à raison de la notification irrégulière du projet de plan de sauvegarde, le Crédit Lyonnais n’avait pu se trouver hors délai pour répondre, et n’avait pas (par défaut) consenti à un abandon de 65% du montant de sa créance).
Appel du plan de cession : le débiteur doit démontrer son intérêt à agir et suivre la procédure à jour fixe.
Quand la fiche de renseignement de la caution ne fait pas tout…
A propos de l’arrêt Cass. Com. 11 avril 2018 pourvoi n°16-19.348
C’est par un arrêt passé relativement inaperçu, qui n’a d’ailleurs pas reçu les honneurs d’une publication au Bulletin, et étrangement peu commenté sur l’aspect qui nous intéresse, que la Cour de cassation a réintroduit ce qui nous semble être une certaine orthodoxie dans le cadre de l’application des dispositions intéressant la proportionnalité des engagements d’une caution.
Pour fixer le contexte, il convient de rappeler que lors de la souscription d’un engagement de caution par une personne physique auprès d’un établissement bancaire, ce dernier doit s’interroger – et en pratique interroger la caution – sur la consistance du patrimoine ainsi donné en garantie.
Puisque la charge de la preuve de cette recherche pèse naturellement sur le professionnel, la pratique bancaire a eu recours à des formulaires – différents selon les établissements bancaires mais comportant sensiblement les mêmes rubriques – que doit renseigner la caution, préalablement à la signature de l’acte.
Toute l’importance de ce document réside dans sa capacité à donner à l’établissement bancaire une juste idée de l’état de fortune de la caution.
En effet, on se souviendra qu’en application des dispositions du Code de la consommation, le créancier professionnel ne peut pas mettre en œuvre la garantie, lorsque l’engagement était « manifestement disproportionné » à l’état de fortune du particulier lors de sa souscription.
La position des établissements bancaires, dans le cadre du contentieux de la mise en œuvre de ces garanties, a naturellement été de se retrancher derrière les seules informations apportées par la caution sur la fiche de renseignement, conservée précieusement au dossier de la Banque.
En somme, la règle était celle de la prise en compte de tout le patrimoine, rien que le patrimoine… pour autant qu’il était déclaré sur la fiche de renseignement.
Or, nul ne sera dupe de ce que, dans les faits, bon nombre de fiches de renseignement patrimonial sont, si ce n’est directement remplies par le conseiller bancaire, à tout le moins largement influencées dans leur rédaction par les conseils avisés de ce dernier.
Les Tribunaux ont le plus souvent néanmoins, et c’est encore la norme à ce jour, refusé de prendre en considération le moindre élément extérieur aux mentions de la fiche de renseignement, pour apprécier la réelle consistance du patrimoine de la caution, au jour de la souscription de son engagement.
En dehors de l’hypothèse – marginale mais cependant réelle – de la caution ayant volontairement, et de parfaite mauvaise foi, déclaré un patrimoine surévalué afin d’obtenir le financement, on doit observer que dans de nombreux cas la fiche de renseignement est mal renseignée au motif que « la Banque sait déjà » que la caution est engagée par ailleurs, ou connaît précisément le montant des encours disponibles.
Il en est ainsi lorsque notamment la caution s’est engagée en cette qualité auprès de la banque qui détient également ses comptes personnels, ou lorsque c’est auprès de ce même établissement bancaire que d’autres engagements financiers ont pu être antérieurement souscrits.
.Cela pouvait amener à des situations paradoxales dans lesquelles :
- d’un côté, la caution ne pouvait pas justifier, par des documents extérieurs, de ce que la Banque avait eu connaissance de l’existence d’autres engagements concomitants ou antérieurs, au seul motif qu’ils ne figuraient pas sur ladite fiche ;
- de l’autre côté, la Banque pouvait présenter une version actualisée du patrimoine de la caution puisqu’ainsi que le lui permet le dispositif législatif, l’engagement même disproportionné au jour de sa conclusion, peut être appelé s’il ne l’est plus au jour de sa mise en œuvre.
Seule « l’anomalie apparente » qui aurait affecté la fiche de patrimoine produite aux débats permettait d’échapper à cette analyse, en mettant alors à la charge de la Banque une obligation de se renseigner.
Voilà quel était l’état du droit, jusqu’à l’intervention – certes discrète et limitée mais néanmoins importante – de la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 avril 2018.
La précision de ce que la décision a été rendue par la chambre commerciale n’est pas anodine, puisque les praticiens n’ignorent pas que les juridictions consulaires sont bien moins disposées à accueillir l’argument de la disproportion que ne peuvent l’être les Tribunaux de Grande Instance.
Dans le cadre de cet arrêt, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel (en l’espèce celle de Rouen), d’avoir refusé de faire droit à tout argumentaire quant à la nature disproportionnée des engagements d’une caution, en se référant traditionnellement aux seules énonciations de la fiche de renseignement remplie par la caution.
Les Juges d’appel avaient pris la précaution préalable de rappeler, vraisemblablement pour écarter tout débat quant à l’existence d’une quelconque anomalie apparente, que les déclarations n’en contenaient aucune.
La Haute juridiction a cependant statué en ces termes :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie-Seine n’avait pas connaissance de deux prêts, l’un personnel de 14 000 euros, l’autre immobilier de 180 000 euros, ainsi que de deux engagements de caution des 19 décembre 2007 et 25 février 2008, que M. X.. aurait souscrits en sa faveur et qu’il invoquait pour démontrer que son cautionnement du 10 octobre 2011 était manifestement disproportionné lors de sa conclusion, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
La chambre commerciale de la Cour de cassation fait donc reproche aux Juges d’appel de ne pas avoir recherché si l’établissement bancaire n’avait pas, dans les faits et au-delà des seules mentions figurant sur la fiche de patrimoine, eu connaissance d’autres engagements de la caution.
La décision a ceci de remarquable qu’alors que la fiche ne contenait « aucune anomalie apparente », les Juges auraient dû ne pas s’en tenir aux seules mentions qu’elle contenait.
Une telle position constitue une amorce de jurisprudence que les cautions pourront enfin produire devant les juridictions du fond, au soutien de ce qu’elles plaident déjà depuis plus d’une décennie : en matière d’engagement de caution, la fiche de renseignement ne fait pas tout.
Cautionnement d’un bail d’habitation : la mention manuscrite c’est fini !
Dans le cadre de la Loi dite « ELAN » (Loi portant évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) du 23 novembre 2018, le Législateur a apporté un certain nombre de modifications intéressant tant les relations entre bailleurs et locataires, que les règles de la copropriété.
L’une des évolutions les plus symboliques, et qui aura des répercussions pratiques immédiates pour les justiciables, est la suppression du formalisme des mentions manuscrites, imposées à titre de nullité, dans le cadre d’un engagement de caution.
Ainsi, lorsqu’un tiers s’engage en qualité de garant du paiement de son loyer par le locataire, il n’aura plus besoin de recopier mot à mot la formule selon laquelle il reconnaît devoir, si jamais le débiteur principal était défaillant, payer à la place de ce dernier.
Le Législateur a en effet pris la mesure des difficultés d’ordre pratique que pouvaient poser la signature électronique des actes, favorisée à l’heure de la dématérialisation, et qui apparaissait incompatible avec cette exigence d’une mention reproduite de manière manuscrite.
L’article 22-1 de la Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 « tendant à améliorer les rapports locatifs », est en effet modifié en ce sens que, si la mention continuera d’être requise à peine de validité de l’engagement, elle n’aura plus besoin d’être recopiée de la main de la caution.
Dans le cadre de la signature d’un bail numérique, la caution pourra ainsi s’engager en signant électroniquement le document, évitant ainsi la tâche fastidieuse de copiste qui lui était antérieurement dévolue.
Violation du Secret des affaires : détention – utilisation – divulgation
Le Législateur a procédé à la transposition en droit interne de la Directive européenne n°2016/943 du 08 juin 2016 sur la protection du secret des affaires.
Par une Loi n°2018-670 du 30 juillet 2018, le Législateur a en effet intégré un nouveau Titre V intitulé « de la protection du secret des affaires » au sein du Ier Livre du Code de commerce (articles L.151-1 et suivants du Code de commerce).
Ces articles sont entrés en vigueur au 1er août 2018.
La Directive n°2016/943 du Parlement européen et du conseil de l’Europe en date du 08 juin 2016, dite sur la protection du secret des affaires, sanctionne le détournement des données commerciales et sensibles d’une entreprise.
Dans le cadre de son second considérant, figurant en préambule de la Directive, le Parlement européen avait pris le soin de rappeler que :« les entreprises, quelle que soit leur taille, accordent au moins autant de valeur aux secrets d’affaires qu’aux brevets et autres formes de droits de propriété intellectuelle. Elles utilisent la confidentialité comme un outil de compétitivité et de gestion de l’innovation dans la recherche dans les entreprises, et en ce qui concerne une large gamme d’informations, qui va des connaissances technologiques aux données commerciales telles que les informations relatives aux clients et aux fournisseurs, les plans d’affaires et les études et stratégies de marché. »
La Loi du 30 juillet 2018 intègre ces dispositions en droit interne.
- Quelles sont les données bénéficiant d’une protection ?
Le secret des affaires est défini par la Directive (Art. 2) comme s’entendant de données :
– « secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles » ;
– qui ont « une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes » ;
– qui ont « fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes. »
Ces dispositions ont été transposées au sein d’un nouvel article L.151-1 du Code de commerce.
Peuvent donc bénéficier de cette qualification les données qui, prises isolément, ne sont pas intrinsèquement secrètes, mais dont la combinaison peut permettre à une entreprise de bénéficier d’un avantage concurrentiel sur un marché donné.
Il s’agit par conséquent d’un mécanisme complémentaire de protection des données clefs des entreprises, au-delà de celles offertes par le biais d’actions plus classiques en concurrence déloyale et parasitisme économique, et des protections spécifiques attachées aux droits de propriété intellectuelle (marque, brevets, dessins et modèles…), au champ d’application bien plus large.
En effet, la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale a pu préciser, dans son avis sur le projet de Loi (Avis n°775) que ces données protégées peuvent notamment être composées de « données de clientèle dont dispose une entreprise », lesquelles ont « une valeur commerciale effective ».
Le Législateur semble donc avoir une vision extensive du champ de cette protection, au-delà de la lettre de l’article L.151-1 du Code de commerce, reste à savoir si cette position sera également celle adoptée par les juridictions.
En tout état de cause, les données doivent avoir fait l’objet de dispositifs « raisonnables » de protection de la part de leur propriétaire.
En effet, une entreprise ne saurait être légitime à se plaindre de l’utilisation frauduleuse de données qu’elle n’a pas pris le soin de protéger elle-même.
Seule la jurisprudence permettra de déterminer ce qu’est, au cas-par-cas, un dispositif adapté de protection de telle ou telle donnée.
On ne peut cependant qu’inviter les entreprises à systématiser la pratique des accords de confidentialité (« non disclosure agreement« ) afin de ne pas risquer de se voir reprocher, dans le cadre d’un débat judiciaire, l’absence de mesure de protection de leurs données clefs, et notamment de leurs fichiers clientèle, échangés dans le cadre d’un partenariat ou de négociations en cours.
De la même façon, on ne saurait que rappeler l’intérêt de faire procéder à un audit destiné à identifier les données clefs de l’entreprise et à évaluer les risques de captation par des tiers.
- Quelles sanctions ?
Les sanctions spécifiques liées à la violation du secret des affaires sont largement inspirées de celles existant en matière de contrefaçon d’un droit de propriété intellectuelle.
En effet, le Code de commerce envisage à la fois des actions visant à prévenir et faire cesser le dommage, et des sanctions visant à le réparer.
Le Juge peut notamment (ce qui implique que cette liste ne serait pas limitative) interdire la réalisation ou la poursuite d’actes d’exploitation ou de divulgation dudit secret, ou encore les actes de production et de mise sur le marché des fruits de cette violation du secret.
Encore, le Juge peut ordonner la destruction des documents, matériaux ou objets concernés et accompagner ces mesures d’une publicité organisée aux frais de l’auteur.
Sur le plan indemnitaire, doivent être distinguées les situations dans lesquelles l’auteur de l’exploitation d’un secret était ou n’était pas informé du caractère illicite de son action.
Dans le cas où l’auteur de la violation du secret des affaires a agi de bonne foi, c’est à dire en ignorant le caractère secret de l’information utilisée, ou à tout le moins la circonstance que la personne dont il la tenait l’avait reçue dans des conditions illicites, le Juge peut condamner l’auteur à une indemnité en lieu et place des mesures rappelées ci-dessus.
Le Juge va alors prendre en considération les intérêts en présence, et notamment rechercher si l’exécution de ces mesures ne risque pas de causer un dommage « disproportionné » à l’auteur de la violation du secret.
En tout état de cause, cette indemnité sera doublement encadrée.
En effet, elle ne pourra être fixée à une somme supérieure au montant des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’attente avait obtenu l’autorisation d’exploiter le secret concerné, lesquels droits seront calculés au maximum sur la période pendant laquelle l’utilisation de ce secret aurait pu être interdite.
Lorsque l’auteur de l’infraction était conscient du caractère illicite de son action, ou qu’il ne pouvait décemment l’ignorer, l’article L.152-6 du Code prévoit que l’auteur de la violation du secret des affaires peut être condamné à réparer le dommage réellement subi, et qui sera fonction :
– des conséquences économiques de son comportement sur le titulaire du secret (manque à gagner, perte subie…);
– du préjudice moral causé au titulaire légitime du secret ;
– des bénéfices réalisés par l’auteur de cette atteinte (en ce compris les économies réalisées en terme d’investissements et de recherche-développement).
Cette indemnisation peut en outre faire l’objet d’une mesure de publicité.
- Les exceptions
L’article L.151-3 du Code de commerce précise que l’obtention d’une donnée peut être parfaitement licite lorsqu’elle résulte d’une découverte ou d’une création indépendante.
Il n’est en effet pas question, sous couvert de la protection accordée au secret des affaires, de brider les créations et innovations d’un concurrent, qui parviendrait à obtenir le même avantage concurrentiel, par son propre travail.
A ce propos, on ne peut cette fois encore qu’observer à quel point le droit de la propriété intellectuelle a innervé le droit commercial, en y transposant des mécanismes qui, jusqu’alors, étaient réservés aux modes de protection des marques, brevets, dessins et modèles.
De manière plus flagrante encore, on notera que l’article L.151-3 réserve également l’hypothèse dans laquelle la découverte du secret résulte d’un travail d’observation, d’étude et de « démontage » ou « test » d’un produit mis sur le marché.
Le Législateur autorise ici implicitement la pratique de la « rétro-ingénierie », consistant pour un concurrent à faire l’acquisition, comme le ferait tout consommateur, d’un exemplaire d’un produit, afin de le soumettre à des études techniques visant à savoir précisément comment il a été conçu et fabriqué.
La rétro-ingénierie trouve cependant une limite de taille dans la protection accordée aux brevets d’invention (si tant est que le produit en question ait fait l’objet d’un tel brevet) : le concurrent ne pourra pas produire d’une façon identique à celle du le titulaire du brevet, sauf à se rendre coupable d’une véritable contrefaçon.
De manière plus anecdotique, on observe que le Législateur a pris la mesure de l’émergence d’un nouveau statut dit du « lanceur d’alerte », protégeant les journalistes et leurs sources lorsqu’ils « révèle[nt] ou signale[nt], de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international […] ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont [ils ont] eu personnellement connaissance ».
Il réserve également, et de manière naturelle, les hypothèses de divulgation liées à l’information légale des salariés ou des autorités compétentes.
Résiliation du bail en redressement judiciaire : possible en cas de défaut de paiement d’échéances postérieures
La Cour de cassation confirme que le propriétaire d’un local commercial, donné à bail à une société placé en redressement judiciaire, est fondé à poursuivre la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement au Jugement d’ouverture de la procédure collective.
La validité de l’action n’est ni conditionnée par un dénoncé du commandement de payer aux créanciers inscrits, ni par la mise en cause du mandataire judiciaire.
On rappellera que pour être valide, et conformément aux dispositions de l’article L.143-2 du Code de commerce, une procédure de résiliation du bail commercial doit être dénoncée aux créanciers inscrits sur le fonds (principalement titulaires de nantissements).
Cette disposition permet, le cas échéant, au créancier inscrit de payer en lieu et place du locataire le montant des arriérés de loyers, pour sauvegarder la valeur du fonds sur lequel il dispose d’une garantie.
Cependant, la Cour de cassation rappelle sa position antérieure, consistant à considérer que ce dénoncé n’a pas lieu au stade du simple commandement de payer visant la clause résolutoire.
Ce n’est qu’à partir de la délivrance de l’assignation visant à faire constater le jeu de cette clause résolutoire que les créanciers inscrits devront être officiellement informés de la procédure engagée.
Dans le cadre de cet arrêt de la deuxième chambre civile, la Cour a également pu considérer que les organes de la procédure collective du locataire n’ont pas à être mis à la cause lorsque la demande de résolution porte exclusivement sur des créances postérieures au jugement d’ouverture du redressement judiciaire.
Précisions jurisprudentielles sur la rupture des relations commerciales établies.
Par deux décisions successives, la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, en ce début d'année 2017, de préciser les contours du champ d'application de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, concernant les hypothèses de rupture brutale de relations commerciales.
Dans un premier arrêt du 25 janvier 2017 (n°15-13.013), la Haute Juridiction a tout d’abord précisé qu’une association, malgré son statut particulier, peut se rendre coupable d’une rupture brutale des relations commerciales, si elle se livre à des actes de commerce.
La Cour de cassation a considéré, dans l’espèce qui lui était présentée, que l’activité de l’association consistant à proposer à ses adhérents une protection sociale adaptées à leur activité (métiers de la défense et de la sécurité), constituait non pas un acte de commerce, mais l’exécution d’un mandat et d’une mission de démarchage (approchant l’activité d’un courtier).
Une lecture a contrario de cette décision permet cependant de confirmer que toute entité juridique, même lorsque son activité n’est pas à proprement parler une activité économique et commerciale, peut se voir opposer les dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
Par une seconde décision du 08 février 2017 (n°15-23.050), la chambre commerciale a encore dû préciser que la rupture brutale de relations commerciales nécessite de rapporter la preuve d’une telle relation, ce que n’est pas le lien unissant une entreprise et la coopérative professionnelle dont elle est membre.
Ainsi, elle a sanctionné une cour d’appel d’avoir condamné une coopérative de transport routier de marchandises à indemniser l’un de ses associés, dont elle avait procédé à l’exclusion, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
En effet, la Cour de cassation a considéré que « les statuts des coopératives fixant aux termes [de l’article 7 de la Loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopérative], les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des associés [..] » il s’en suit que « les conditions dans lesquelles les liens unissant une société Coopérative et un associé peuvent cesser sont régies par les statuts […] échappent à l’application [de l’article L.442-6 du Code de commerce. »
L’associé exclu ne pouvait donc pas se prévaloir des dispositions spécifiques applicables à la rupture de relations commerciales établies, et devait s’en rapporter uniquement à l’éventuelle violation des statuts de la coopérative (ces derniers envisageant les modalités d’exclusion de ses membres).
Gage de stocks versus Gage de droit commun : l’ordonnance du 29 janvier 2016 rapproche les deux régimes.
Le droit des sûretés a fait l’objet en 2006 d’une refonte intégrale, au cours de laquelle le Législateur a créé une toute nouvelle garantie assise spécifiquement sur les stocks de l’entreprise, sous l’appellation simplissime de « gage de stock ».
Au titre de cette garantie, et pour en dresser un portrait sommaire, on peut rappeler que le débiteur assure son créancier du bon paiement de sa dette en lui offrant une préférence, en cas de défaut de paiement, sur la valeur de ses stocks existants.
Cette simplicité apparente trouvait à se complexifier car ce tout nouveau régime, précisé aux articles L.527-1 et suivants du Code de commerce, devait composer avec la pratique préexistante et ayant consisté, en l’absence de texte spécifique, à se placer sous le régime du droit commun, c’est-à-dire à considérer le gage de stock comme un simple « gage de meuble corporel sans dépossession ».
En effet, et rien ne l’interdisait jusqu’alors, les stocks – qui fatalement demeuraient chez le commerçant pour lui permettre l’exercice de son activité (d’où le vocable « sans dépossession ») – étaient affectés à la garantie des droits de l’un de ses créanciers.
Cette situation ne posait pas de difficulté majeure, et la création d’une nouvelle garantie dédiée aux stocks n’en aurait d’ailleurs pas posé d’avantage, si ces deux régimes avaient offert la même souplesse.
Or, le gage de meuble corporel sans dépossession autorisait la stipulation d’une « clause commissoire » (ou pacte commissoire) au titre de laquelle, en cas de défaut de paiement de la dette, le créancier devient automatiquement propriétaire du bien gagé.
A l’inverse, le gage de stocks avait exclu cette possibilité, les articles du Code de commerce renvoyant, en cas de défaut de paiement, à l’application de dispositions relatives à la réalisation des meubles corporels (c’est-à-dire à une vente forcée incluant une procédure judiciaire spécifique).
Subsistait par conséquent une inégalité de traitement entre les bénéficiaires d’un gage « de droit commun » et les bénéficiaires d’un gage de stock, ces derniers étant contraints de procéder à leurs frais à une procédure d’exécution supplémentaire à laquelle pouvaient échapper les premiers par une simple clause insérée au contrat (pacte commissoire).
Au surplus, cette différence de traitement avait des conséquences notables en cas de redressement ou de liquidation judiciaires du débiteur, puisque dans un cas (gage de droit commun) le créancier était automatiquement devenu propriétaire des stocks et n’avait qu’à en réclamer la restitution, alors que dans le second cas (gage de stocks) le créancier devait déclarer sa créance entre les mains du mandataire judiciaire, et se voyait affecté par l’interdiction faite à son débiteur de payer une créance antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective.
La tendance naturelle aura donc été de tenter d’échapper au gage de stocks, et de se placer volontairement sur le terrain du gage « de droit commun » pour bénéficier de cette souplesse.
Par un arrêt d’Assemblée Plénière du 07 décembre 2015, la Cour de cassation a définitivement tranché une question demeurant en suspens en retenant que « s’agissant d’un gage portant sur les éléments visés à l’article L.527-3 du Code de commerce [c’est à dire un gage portant sur des stocks] et conclu dans le cadre d’une opération de crédit, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession ».
Ainsi, la Cour de cassation a retenu que le gage de stocks de l’article L.527-3 du Code de commerce, qui institue un régime spécial par rapport au gage « de droit commun » du Code civil, doit trouver application sans possibilité d’y déroger, même volontairement.
L’Assemblée Plénière faisait ici une application de l’adage latin bien connu selon lequel « le spécial déroge au général », et interdisait ainsi aux Banques de consentir des prêts garantis par un gage « de droit commun » portant sur des stocks.
Par voie de conséquence, les établissements bancaires se voyaient privés de la possibilité de stipuler un pacte commissoire.
Cette position de la Cour de cassation ne trouvera application que pour un temps, puisque sur la base d’une Loi d’habilitation du 06 août 2015 (Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques), le Gouvernement entreprenait par voie d’ordonnance de rapprocher les deux régimes juridiques.
Ainsi, l’article L.527-8 du Code de commerce prévoit désormais qu’à défaut de paiement de la dette garantie, le créancier peut poursuivre la réalisation de son gage selon les modalités des articles 2346 à 2348 du Code civil, lequel article 2348 autorise expressément le pacte commissoire.
Ces dispositions nouvelles sont entrées en vigueur pour les contrats conclus à compter du 1er avril 2016.