A propos de l’arrêt Cass. Com. 11 avril 2018 pourvoi n°16-19.348
C’est par un arrêt passé relativement inaperçu, qui n’a d’ailleurs pas reçu les honneurs d’une publication au Bulletin, et étrangement peu commenté sur l’aspect qui nous intéresse, que la Cour de cassation a réintroduit ce qui nous semble être une certaine orthodoxie dans le cadre de l’application des dispositions intéressant la proportionnalité des engagements d’une caution.
Pour fixer le contexte, il convient de rappeler que lors de la souscription d’un engagement de caution par une personne physique auprès d’un établissement bancaire, ce dernier doit s’interroger – et en pratique interroger la caution – sur la consistance du patrimoine ainsi donné en garantie.
Puisque la charge de la preuve de cette recherche pèse naturellement sur le professionnel, la pratique bancaire a eu recours à des formulaires – différents selon les établissements bancaires mais comportant sensiblement les mêmes rubriques – que doit renseigner la caution, préalablement à la signature de l’acte.
Toute l’importance de ce document réside dans sa capacité à donner à l’établissement bancaire une juste idée de l’état de fortune de la caution.
En effet, on se souviendra qu’en application des dispositions du Code de la consommation, le créancier professionnel ne peut pas mettre en œuvre la garantie, lorsque l’engagement était « manifestement disproportionné » à l’état de fortune du particulier lors de sa souscription.
La position des établissements bancaires, dans le cadre du contentieux de la mise en œuvre de ces garanties, a naturellement été de se retrancher derrière les seules informations apportées par la caution sur la fiche de renseignement, conservée précieusement au dossier de la Banque.
En somme, la règle était celle de la prise en compte de tout le patrimoine, rien que le patrimoine… pour autant qu’il était déclaré sur la fiche de renseignement.
Or, nul ne sera dupe de ce que, dans les faits, bon nombre de fiches de renseignement patrimonial sont, si ce n’est directement remplies par le conseiller bancaire, à tout le moins largement influencées dans leur rédaction par les conseils avisés de ce dernier.
Les Tribunaux ont le plus souvent néanmoins, et c’est encore la norme à ce jour, refusé de prendre en considération le moindre élément extérieur aux mentions de la fiche de renseignement, pour apprécier la réelle consistance du patrimoine de la caution, au jour de la souscription de son engagement.
En dehors de l’hypothèse – marginale mais cependant réelle – de la caution ayant volontairement, et de parfaite mauvaise foi, déclaré un patrimoine surévalué afin d’obtenir le financement, on doit observer que dans de nombreux cas la fiche de renseignement est mal renseignée au motif que « la Banque sait déjà » que la caution est engagée par ailleurs, ou connaît précisément le montant des encours disponibles.
Il en est ainsi lorsque notamment la caution s’est engagée en cette qualité auprès de la banque qui détient également ses comptes personnels, ou lorsque c’est auprès de ce même établissement bancaire que d’autres engagements financiers ont pu être antérieurement souscrits.
.Cela pouvait amener à des situations paradoxales dans lesquelles :
- d’un côté, la caution ne pouvait pas justifier, par des documents extérieurs, de ce que la Banque avait eu connaissance de l’existence d’autres engagements concomitants ou antérieurs, au seul motif qu’ils ne figuraient pas sur ladite fiche ;
- de l’autre côté, la Banque pouvait présenter une version actualisée du patrimoine de la caution puisqu’ainsi que le lui permet le dispositif législatif, l’engagement même disproportionné au jour de sa conclusion, peut être appelé s’il ne l’est plus au jour de sa mise en œuvre.
Seule « l’anomalie apparente » qui aurait affecté la fiche de patrimoine produite aux débats permettait d’échapper à cette analyse, en mettant alors à la charge de la Banque une obligation de se renseigner.
Voilà quel était l’état du droit, jusqu’à l’intervention – certes discrète et limitée mais néanmoins importante – de la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 avril 2018.
La précision de ce que la décision a été rendue par la chambre commerciale n’est pas anodine, puisque les praticiens n’ignorent pas que les juridictions consulaires sont bien moins disposées à accueillir l’argument de la disproportion que ne peuvent l’être les Tribunaux de Grande Instance.
Dans le cadre de cet arrêt, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel (en l’espèce celle de Rouen), d’avoir refusé de faire droit à tout argumentaire quant à la nature disproportionnée des engagements d’une caution, en se référant traditionnellement aux seules énonciations de la fiche de renseignement remplie par la caution.
Les Juges d’appel avaient pris la précaution préalable de rappeler, vraisemblablement pour écarter tout débat quant à l’existence d’une quelconque anomalie apparente, que les déclarations n’en contenaient aucune.
La Haute juridiction a cependant statué en ces termes :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie-Seine n’avait pas connaissance de deux prêts, l’un personnel de 14 000 euros, l’autre immobilier de 180 000 euros, ainsi que de deux engagements de caution des 19 décembre 2007 et 25 février 2008, que M. X.. aurait souscrits en sa faveur et qu’il invoquait pour démontrer que son cautionnement du 10 octobre 2011 était manifestement disproportionné lors de sa conclusion, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
La chambre commerciale de la Cour de cassation fait donc reproche aux Juges d’appel de ne pas avoir recherché si l’établissement bancaire n’avait pas, dans les faits et au-delà des seules mentions figurant sur la fiche de patrimoine, eu connaissance d’autres engagements de la caution.
La décision a ceci de remarquable qu’alors que la fiche ne contenait « aucune anomalie apparente », les Juges auraient dû ne pas s’en tenir aux seules mentions qu’elle contenait.
Une telle position constitue une amorce de jurisprudence que les cautions pourront enfin produire devant les juridictions du fond, au soutien de ce qu’elles plaident déjà depuis plus d’une décennie : en matière d’engagement de caution, la fiche de renseignement ne fait pas tout.