Location Airbnb et application des sanctions de la Loi LE MEUR dans le temps

Par un avis du 10 avril 2025, 25-70.2002 publié au bulletin, la Cour de Cassation se prononce sur l’application dans le temps de la loi dite LE MEUR.

La loi du 19 novembre 2024 dite LE MEUR (https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000049265492/) a durci le régime de la location des meublés de tourisme en facilitant leur régulation et en alourdissant les sanctions en cas d’infraction à la réglementation.

Cette loi a notamment vocation à ralentir l’essor des locations de type Airbnb.

Dans de nombreuses villes, un local d’habitation ne peut pas être loué en tant que meublé de tourisme sans obtenir une autorisation préalable de changement d’usage.

Les villes de Nantes et Rennes sont notamment concernées par ce dispositif.

Or, la loi LE MEUR a élargi la notion de local d’habitation afin de soumettre le plus grand nombre de biens au régime du changement d’usage et donc au contrôle des communes concernées.

Auparavant, un local était défini comme étant à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970.

Selon la loi LE MEUR, un bien peut désormais être qualifié de local d’habitation s’il a été affecté à cet usage entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, ou à n’importe quel moment au cours des trente années précédant la demande d’autorisation de changement d’usage ou l’introduction d’une procédure contentieuse.

En cas d’infraction aux conditions imposées par la loi pour un changement d’usage, l’amende civile auparavant plafonnée à 50.000 € s’élève désormais à 100.000 €.

Saisie d’une demande d’avis par le Tribunal Judiciaire de PARIS, la Cour de Cassation a été interrogée sur l’application de cette réglementation dans le temps.

La question était la suivante : lorsqu’une amende civile est sollicitée sur le fondement d’un changement d’usage illicite intervenu avant l’entrée en vigueur de la loi LE MEUR, la détermination du local d’habitation doit-elle s’effectuer à l’aune des nouveaux critères posés par cette loi ?

La Haute Juridiction a répondu par la négative.

La Cour de Cassation a rappelé qu’une loi instituant une nouvelle règle de fond plus sévère n’a pas d’effet rétroactif : dans ce cas et pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi ancienne s’applique.

Les propriétaires poursuivis pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi LE MEUR seront donc jugés selon la loi ancienne, qui leur est plus favorable.

En revanche et à compter de son entrée en vigueur, la loi LE MEUR s’applique dans toute sa rigueur.

Les propriétaires désireux de louer leur bien en meublé de tourisme ont tout intérêt à vérifier si leur bien est un local d’habitation au sens de la nouvelle définition de l’article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation et à se renseigner préalablement sur les modalités de changement d’usage éventuellement applicables dans leur commune.

A défaut de respecter scrupuleusement la procédure prévue, ils risqueront de se voir appliquer une amende coûteuse. 

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CONSTRUCTION : Champ d’application de la réception judiciaire et du constat judiciaire de la réception tacite d’un ouvrage

CONSTRUCTION : Champ d’application de la réception judiciaire et du constat judiciaire de la réception tacite d’un ouvrage

Bien que les juridictions civiles ne puissent pas prononcer la réception judiciaire d’un ouvrage qui n’est pas en état d’être reçu, celles-ci peuvent légalement constater la réception tacite d’un tel ouvrage. La distinction de ces formes de réception apparaît ainsi fondamentale, dès lors qu’elles ne partagent pas les mêmes champs d’application.

Dans l’affaire que la Cour de Cassation a été amenée à trancher le 20 mars 2025, une société civile immobilière (SCI) confie la réalisation de travaux d’édification de logements à deux constructeurs.

Constatant des malfaçons sur les ouvrages réalisés, la SCI assigne les constructeurs et l’assureur de l’un d’eux en indemnisation, notamment sur le fondement de la garantie décennale (article 1792 du Code civil).

En réponse, les constructeurs, et l’assureur, font valoir qu’aucune réception expresse n’est intervenue, et que les conditions d’une réception tacite ou judiciaire ne sont pas remplies, de sorte qu’aucun d’eux n’est débiteur de la garantie décennale en l’espèce.

Par un arrêt rendu le 8 juin 2023, la Cour d’appel de Bourges, saisie de l’affaire, considère que la garantie décennale ne peut pas être mise en œuvre, dès lors que l’ouvrage n’a jamais été réceptionné.

Elle écarte la réception judiciaire de l’ouvrage au motif que les immeubles à usage d’habitation construits ne sont pas en état d’être reçus, puisqu’ils ne sont pas habitables en raison des malfaçons et non-façons constatées.

La Cour d’appel rejette également la réception tacite de l’ouvrage, considérant que la SCI ne démontre pas sa volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.

La SCI maître d’ouvrage se pourvoit alors en cassation, estimant notamment que la Cour d’appel de Bourges aurait violé les dispositions de l’article 1792-6 du Code civil en affirmant, contre l’avis d’un expert, que l’ouvrage ne serait pas habitable, sans justifier d’une interdiction d’habiter les lieux en l’état.

Celle-ci reproche également à la juridiction du fond d’avoir écarté la réception tacite de l’ouvrage, sans se prononcer sur le paiement intégral du prix des travaux et sur la prise de possession de l’ouvrage, qui font pourtant présumer la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.

Par un arrêt rendu le 20 mars 2025, la troisième Chambre civile de la Cour de Cassation confirme l’appréciation de la Cour d’appel, selon laquelle les logements ne sont pas en état d’être reçus, car non habitables, et écarte la réception judiciaire de l’ouvrage.

 La troisième Chambre civile de la Cour de Cassation valide cependant le raisonnement de la SCI maître d’ouvrage s’agissant de la réception tacite, en considérant que la Cour d’appel devait présumer de la volonté non équivoque de la SCI d’accepter l’ouvrage, dès lors que celle-ci en avait pris possession et avait réglé l’intégralité du prix des travaux.

 En l’absence d’élément renversant cette présomption, la Cour d’appel ne pouvait que constater judiciairement la réception tacite de l’ouvrage, ainsi qu’il lui était demandé.

En conclusion, la réception judiciaire ne peut avoir lieu que lorsque l’ouvrage est en état d’être reçu, ce qui suppose, pour l’édification de logements, que ceux-ci soient habitables.

Toutefois, le constat judiciaire de la réception tacite, ou « amiable », reste possible même si les ouvrages ne sont pas en état d’être reçus, dès lors que le maître d’ouvrage démontre sa volonté non équivoque de les accepter, ou que la présomption d’une telle volonté n’est pas renversée.

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BAIL COMMERCIAL : Les mentions obligatoires pour la délivrance d’un congé par le bailleur ne sont pas exigées lorsqu’il exerce son droit d’option

Bail commercial

Le bailleur qui notifie un refus de renouvellement du bail commercial, à l’occasion d’une procédure de fixation du montant du loyer de renouvellement, n’est pas tenu de respecter les mentions obligatoires du congé, prévues au dernier alinéa de l’article L. 145-9 du Code de commerce.

Dans l’affaire que la Cour de Cassation a été amenée à trancher le 27 mars 2025, un commerçant de bijoux et d’objets d’art a pris à bail un local appartenant à une société civile immobilière (SCI), à compter du 1er janvier 2008, pour une durée de neuf ans.

Le 19 août 2016, le locataire sollicite le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2017.

La société bailleresse lui adresse, le 17 janvier 2018, un mémoire en fixation du loyer du bail renouvelé, loyer de renouvellement que le locataire refuse le 12 mars 2018.

Le 12 juin 2018, la SCI bailleresse exerce son droit d’option, en vertu des dispositions de l’article L.145-57 du Code de commerce, et notifie au preneur son refus de renouvellement du bail.

Le 23 septembre 2020, le locataire assigne la SCI bailleresse en annulation de son droit d’option, et en constatation du renouvellement du bail.

La locataire se voit alors opposer la prescription de son action, à défaut d’avoir agi dans les deux années suivant l’exercice du droit d’option.

Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Paris juge, par un arrêt rendu le 25 janvier 2023, que la SCI pouvait valablement exercer son droit d’option, et que l’action de l’ancien locataire en annulation de l’exercice de ce droit est prescrite.

L’ancien locataire se pourvoit alors en cassation, au motif, d’une part, que la notification du refus de renouvellement ne contenait pas les mentions obligatoires du congé prévu à l’article L.145-9 du Code de commerce, et d’autre part, que la SCI bailleresse, qui avait exercé son droit d’option sans manifester sa volonté de reprise effective des lieux, était de mauvaise foi, et ne pouvait invoquer la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

En effet, l’ancien locataire reproche à la société bailleresse de refuser le renouvellement du bail, par l’exercice de son droit d’option, sans mentionner le délai accordé au locataire pour le contester, et sans effectuer de diligences tendant à la reprise matérielle des lieux.

Il est à rappeler que, dans le cadre d’un congé, le bailleur doit effectivement informer son preneur du délai de deux années lui étant imparti pour saisir le Tribunal, à peine de nullité du congé.

Par un arrêt rendu le 27 mars 2025, la troisième Chambre civile de la Cour de Cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel, et confirme que l’exercice du droit d’option du bailleur commercial n’est pas soumis aux dispositions de l’article L.145-9 du Code de commerce.

Dès lors, la notification au locataire du refus de renouvellement du bail n’a pas à contenir les mentions obligatoires imposées dans le cadre d’un congé, et notamment la mention du délai accordé au locataire pour le contester.

En conclusion, il appartient aux locataires d’être vigilants et réactifs lorsque leur bailleur exerce son droit à s’opposer au renouvellement du bail, même lorsque celui-ci n’entreprend aucune diligence tendant à la reprise des lieux loués.

Réciproquement, le bailleur qui exerce son droit d’option, en vertu des dispositions de l’article L.145-57 du Code de commerce, n’est pas tenu, au-delà des textes, de respecter les dispositions propres au congé.

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Lumière sur les éléments que le locataire doit produire pour bénéficier du préavis réduit en zone tendue !

Par un arrêt récent du 11 janvier 2024, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire vient apporter des précisions quant aux éléments à produire par le locataire pour bénéficier d’un préavis de départ réduit en zone tendue.

Créée en 2013, la notion de zone tendue qualifie les agglomérations à forte densité urbaine où le marché immobilier souffre d’un grave déséquilibre entre l’offre et la demande de logement. En conséquence, le niveau des loyers y est plus élevé qu’ailleurs.

Pour freiner cette inflation, les baux d’habitations sont soumis à deux dispositifs :

  • D’une part, le droit du locataire à un préavis d’un mois (logement vide ou soumis à la
    loi de 1948) ;
  • D’autre part, l’application de l’encadrement des loyers (logement vide ou meublé).

Dans le cadre de l’affaire dont a eu à connaitre la Cour de cassation, le locataire avait donné congé à son bailleur en précisant bénéficier d’un délai de préavis réduit à un mois, « conformément aux dispositions de la Loi Alur »,  et ce en raison d’un rapprochement professionnel.

 Le bailleur refusera néanmoins de voir son locataire bénéficier de ces dispositions, et    appliquera un préavis classique de trois mois,

Le locataire s’exécutera dans un premier temps, mais agira ensuite en restitution des loyers versés postérieurement au préavis d’un mois, ainsi qu’en paiement de dommages et intérêts.

Par une décision du 19 avril 2022, rendue en premier et dernier ressort, le Tribunal de
proximité de Villejuif fait droit à ces demandes et condamne le bailleur. 

Ce dernier forme un pourvoi en cassation.

En substance, le bailleur soutient que la simple invocation de la Loi Alur sans plus ample
justification ne suffit pas à justifier du bénéfice d’un préavis abrégé.

La Cour de cassation tranche la question le 11 janvier 2024, n°22-19.891 :

En premier lieu, elle rappelle d’abord l’article 15, I, de la Loi Alur qui prévoit :
« Lorsqu’il émane du locataire, le délai de préavis applicable au congé est de trois
mois. Le délai de préavis est toutefois d’un mois : […] 1° Sur les territoires mentionnés au premier alinéa du I de l’article 17 [zones tendues] … »

En deuxième lieu, la troisième chambre civile précise ensuite que, contrairement aux
allégations du bailleur, le fait de mentionner l’adresse du bien, et de revendiquer le bénéfice du préavis réduit sur le fondement de la Loi Alur, suffit à justifier du motif invoqué de réduction du délai de préavis. 

En dernier lieu, les juges sanctionnent sévèrement la mauvaise foi du bailleur « propriétaire de plusieurs logements qui ne pouvait ignorer que cette commune était située sur l’un des territoires mentionnés à l’article 17 de la Loi du 6 juillet 1986 » en octroyant au locataire l’allocation de dommages et intérêts